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11 novembre 2011

L'Empathie

L'humain m'apparaît parfois d'une profondeur et d'une densité effrayantes, insondables.

Lorsque l'on s'extrait de soi, et que l'on plonge . Un choc parfois; une vie entière de souvenirs / de sensations / d'émotions / de pensées / de réflexions / d'apprentissage / de mouvements/  de paroles, qui se condensent, là, face à vous, en un Autre mouvant.

Ligne grise

Le premier masque du sourire forcé, la fausse assurance, l'hésitation ou
L'enthousiasme, la cordialité, l'envie ou
(juste) l'intérêt, la curiosité, l'interrogation.

Découlent d'une infinité de causes et d'effets factuels, concrets; Mais de combien de perceptions subjectives et d'interprétations encore?

Cette épaisseur, tissée du vécu du corps et de la psyché, je pourrais presque la toucher.
Si elle n'était pas contenue en un seul instant impalpable.

           Focus: Un ralenti presque immobile; deux personnes prennent place autour d'une table en verre, nue.

 Une toute petite heure pour saisir la "substantifique moelle" de l'individu; ses expériences structurantes, ses schémas de pensée.

Une toute petite heure pour comprendre qui est en face de moi, ce qui l'a fait, ce qu'il a fait et fera - et pourquoi.

Une femme qui a dû être jolie, très jolie, avant. Mais terne, fatiguée, éteinte aujourd'hui. Je lui donne 45, 50 ans. Rapide calcul à partir de la date de naissance: elle n'a pas encore 38 ans.

Alors avant quoi? Sur son CV, une succession d'expériences a priori relativement cohérente, un pavé "loisirs" reservé au sport; mention de compétition. Presque plus abondant que le reste. La femme que je vois est pourtant lasse, vaincue d'avance - tout sauf conquérante.

Je parcours à nouveau le CV: jusqu'en 2002, toutes les expériences sont datées très précisément.
De 2003 à 2007, l'année d'entrée est indiquée.
A partir de 2007, flou artistique: A y regarder de plus près, certaines missions semblent même se juxtaposer; on parle de postes "en indépendant"; les intitulés sont vagues.

Première question, en douceur: "Où en êtes-vous aujourd'hui en termes de carrière? Quelles sont vos aspirations?"
"On ne parle pas de ce que j'ai déjà fait?"
Sourire: "On va y venir. Mais là aujourd'hui, de quoi vous avez envie?"
"De travailler".

Cette réponse porte en elle un malaise, celui de la soumission. Peu importe quoi, mais faire.

"Je peux me contenter de peu".

Je sais qu'elle parle du smic, qu'elle parle des patrons injustes et tyranniques qui ne paient pas les heures supplémentaires, qu'elle parle d'un poste -pardon- de merde, où elle n'aura aucune perspective d'évolution.

J'essaie d'adoucir ma voix, au maximum, pour faire passer la cruelle franchise de ma réponse.

"Je ne fais pas de traite d'esclaves".

Stupeur.

Je range ostensiblement mon stylo, mes notes. On est "en off".

"Parlez-moi du sport. Quelle discipline?"

"Le saut d'obstacle." Une étincelle dans le regard, mais un visage qui se voudrait impassible.

"Le CSO? Me suis arrêtée au Galop 2, moi... J'en ai pas fait souvent mais j'ai adoré ça.
Vous en avez fait en compétition, vous, je suppose?"

Elle se met à parler, s'anime. On reste, d'abord, dans la passion. Oui, la compétition (Elle était fan de sport, d'ailleurs, en général: Vélo, ski... Elle a même tenté le saut à l'élastique, le parachute). Niveau national, on l'a même selectionnée en équipe de France. Mais.

Mais avant sa première compétition tricolore quelques semaines - à peine- une chute en VTT, un week-end. Violente. Suffisamment pour lui déchirer les ligaments des deux genoux, lui déboîter une épaule... et lui imposer de longs mois de rééducation.

"Quelle année?"

"2003".

J'ai ma première réponse.

"ça vous était venu comment, le cheval?"

Sa maman, passionnée d'animaux, avait à tout prix voulu lui faire partager son goût de l'équitation.

 

Une maman qui l'a élevée seule - seule, vraiment, sans autre famille, sans autres amis - qui s'est saignée pour lui donner une éducation... et lui transmettre l'amour des chevaux.

"Toute petite, bébé, presque, elle m'emmenait faire du poney, pour me familiariser avec le milieu". Un silence.

"Elle est morte en 2007".

 

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