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23 octobre 2011

De l'éternel recommencement

3 courts textes

Alors que le soleil se couche

 

alors que le soleil se couche

Il se souvient que l’on peut pleurer de joie, et sourire de tristesse. Être nostalgique d’un temps que l’on n’a pas connu, et avoir des remords pour ce que l’on ne fera jamais. Reculer pour mieux sauter, et avancer pour faire un demi-tour.
Un billet de train à la main, que faire ? Assis sur le sol de la gare, les yeux rivés au cadran de l’horloge. Il se lève et s’avance. Il grimpe sur le marchepied. Plus qu’un pas, un seul. Va.
Il regarde le paysage qui défile, les yeux clos. Il n’a pas besoin de voir, il imagine.

…alors que le soleil se couche

Une plage et la mer, plusieurs promeneurs solitaires, quelques baigneurs tardifs : l’été aussi se sent faible, et engourdi, et somnolent.
Presque pluvieux, lui qui s’éteint enfin.
Une guitare chante doucement, là-bas, derrière les rochers, on ne la voit ni ne l’entend, d’ici.
Le ciel achève son agonie : la lune apparaît en souriant.

Au premier arrêt, le défilé habituel de valises sans visage qui avancent en pestant. Le train s’ébranle alors. Sur le quai un homme comme lui, mais qui n’est pas monté. Il regarde partir le train. Baisse la tête. Pleure. De quoi ? Lui seul, et Dieu peut-être, le sait. Il a la nostalgie d’un futur qu’il ne connaîtra pas.
Il dort toujours la tête appuyée sur le dossier. Il connaît les lieux que le rail traverse. Par cœur. Il y est déjà aller si souvent, en rêve. Il regarde l’heure et sait où il est.

… alors que le soleil se couche

Un pré vert et poétique, un vieux tacot sur la route défoncée. L’automne dans sa prime jeunesse, trop jeune pour être rougeoyante encore ; paisible, discrète. Ceux qui aboient ne mordent pas. Elle ne fait pas un bruit.
Si, un pauvre bêlement émane d’un troupeau esseulé, trop tôt rentré, pas encore rassasié : Les minuscules étoiles, par-dessus la vallée bleue de brume, ont triomphé.

Déjà, le deuxième arrêt. Presque une escale, il est si loin. Des vêtements chargés de sacs déambulent entre les sièges, se cognent aux strapontins, aux autres et à eux-même.
Sur le quai, un autre lui-même fixe l’horloge. Il serait temps d’embarquer. Il ne bouge pas ; hypnotisé par le cadran. Il regarde son choix s’enfuir avec le temps, sa liberté se réduire avec l'écart de deux  aiguilles. Le train se met en branle.
Les heures s’écoulent, les paysages changent dans sa tête. Un coup d’œil à sa montre. Il se rapproche.

… alors que le soleil se couche

Un mont si haut que l’on ne le voit plus, un pic perdu dans les nuages. Et à se pieds de minuscules fourmis humaines qui s’affairent, vainement, si vainement que leur monde s’affaissent vu de si haut. Que reste-t-il de grand, quand un insignifiant flocon parvient à cacher une montagne ? Quand une invisible goutte de brouillard noie un sommet ?
La cloche d’une vache nous rappelle enfin que la vie est là, quand bien même… en ce début d’hiver le ciel pleure de la neige.

Avant-dernier arrêt. Son double est là encore sur le quai, à espérer partir. Il ne quitte pas son billet du regard. D’autres tickets forment déjà une cohue dans les couloirs.
L’homme d’en bas regarde l’homme d’en haut et se dirige droit vers le train d’un air décidé. Les portes se referment devant lui. Il ne fait pas un mouvement. Silhouette immobile et songeuse, il finit par disparaître avec le reste.
A cette heure, il est presque arrivé. La fenêtre continue son cinéma qu’il ne regarde pas.

…alors que le soleil se couche

Une clairière au milieu d’une forêt, dont l’herbe jaunie meurt déjà de soif. Le printemps s’échappe, las de vivre en riant. Le dormeur a reprit ses droits, et se vengera encore demain de sa si longue absence. Enfin les animaux s’éveillent, le souvenir des randonneurs est loin,  les jonquilles ont toutes été cueillies. Quelques gouttes d’eau s’écrasent nonchalamment, la terre pourra étancher sa soif, peut-être.
Dernier arrêt. Les voyageurs descendent. Lui aussi. Il a  mal d’être resté si longtemps assis sur ce banc de bois, adossé à un mur froid et humide. Il ouvre enfin les yeux.
D’autres trains sont partis et sont arrivés. D’autres personnes, mais pas lui, ne sont pas descendues des marchepieds et roulent maintenant vers des lieux inconnus, en riant, confiantes.

Il déchire son billet, et comme tous les soirs quittent la gare. Il est presque tard.

…alors que le soleil se couche

Une ville grise comme toutes les villes. Une ville triste en cette saison comme en chaque saison. Des ombres d’âmes qui courent, en tous sens, après leur vie.
Aucun jour ne naît ici, il y a juste la nuit qui ne meurt jamais tout à fait, imperturbable. Une journée est une nuit claire.

Il sort un papier de sa poche. Un billet pour demain.


Il sourit insensiblement, alors que le soleil se couche.
 
 
Episodes


    éteinte à la bouche. Le noir est total. Saôule, aussi, sûrement. Ramassée sur elle-même, elle porte le briquet qu'elle gardait dans la main droite, serré comme on s'accroche à une planche de salut. La flamme illumine alors son visage ravagée; le maquillage s'est étendu sur son visage comme une gangrène noirâtre et crouteuse. Sauf autour de la bouche, d'où l'on croirait qu'elle crache du sang. Pour le reste, on ne sait pas; la cigarette allumée, le briquet est déjà rééteint, on ne voit plus rien. Mais on l'entend tenter de se lever, s'accrocher au mur avec les ongles -ça crisse. Et on voit aussi le bout incandescent de la cigarette qui grimpe puis retombe. Elle s'affaisse, on dirait qu'elle ronfle. La porte grince, mais l'on ne sait pas qui entre. Il fait aussi noir derrière la porte qu'ici. C'est un homme, toutefois, puisque lorsqu'il lui dit « lève toi », c'est une voix masculine qui murmure. Elle ne se lève pas. Il s'approche, la main levée, et

***

    puis chute carrément, lourdement, violemment. Son genou saigne encore plus abondamment que sa joue déjà éraflée. Sa bosse sur son front la lancine toujours autant, et pourtant elle se relève et court, mais bizarrement, comme un crabe, en titubant. Elle jette des regards derrière elle, et c'est horrible parce que sous la terreur, ses yeux roulent sur eux-mêmes, son cou se tord jusqu'à l'extrème limite de la douleur, et chaque fois qu'elle se retourne, elle voit les trois chiens qui ont encore gagné du terrain. Ils sont énormes et musculeux, et elle est frêle et faible, et c'est déjà un miracle qu'elle ne se soit pas encore fait déchiqueter. Elle voit une voiture au loin et tente de hurler mais non. Rien ne sort alors au risque de perdre de la vitesse, elle se met à agiter les bras frénétiquement. La voiture ralentit, s'apprêtant à

***

    relever le drap. Il n'est pas sûr que ce soit bien elle. Peut-être que s'il la touchait? Parce qu'il la connaissait mieux dans le noir, après tout ce temps passé là-bas. Il a du mal à croire que c'est bien elle, mais oui, la retrouver là, comme ça, après tout ce temps. L'odeur devient plus forte, mais il n'arrive pas à arrêter de la regarder. Elle était très belle, avant, au début. Enfin, il le devinait, puisque oui, à part la flamme du briquet... Quoique un jour il avait épuisé le gaz d'un briquet en l'éclairant avec, partout, pour la voir. Alors oui, il doit se rendre à l'évidence, c'est bien elle. Même si ça lui donne envie de pleurer. Il regarde l'homme en blanc, une cigarette
 
 
 
Une statue


Dans un parc, une fine pluie tombait, si fine qu’elle n’était presque pas mouillée. Quelques luminaires baignaient le banc d’une lueur à l’orange blafard: la lune de minuit ne dispensait aucune clarté. Un jeune couple s'y embrassait. Face à eux, une drôle de sculpture d’acier vieilli, jaunie par la rouille déposée par une éternité passée sous cette pluie : personne ne savait ce qu’elle représentait, pas même l’artiste qui, pendant des mois, l’avait façonnée de ses mains.


Son atelier ressemblait à un bloc opératoire, froid, et blanc, et parfois sanglant. C’était là que se déroulait, chaque matin, sa propre chirurgie de l’âme. Il était le patient et le docteur, ses scalpels s’appelaient marteaux, burins, ses compresses stériles, des toiles vierges.  

Il venait d’y entrer au lever du soleil, ce jour-là. Désœuvré, l’inspiration l’avait quitté. Il s’assit près de son bureau et contempla le ciel à travers la verrière qui tenait lieu de plafond. L’aurore était rose comme un crépuscule d’hiver. Quelques minutes passèrent sans qu’il ne dise, ni ne fasse rien. La muse était muette. Il se balançait d’un pied sur un autre de son siège, de plus en plus vite. L’inévitable ne se produisit pas. Mais une révélation. Le reflet déformé de son mouvement sur fond de soleil levant le frappa. Il ressemblait au culbuto de son enfance, mais raide, et maigre, et gris comme un adulte dans la demi-pénombre de l’atelier.

Il devint fébrile. En à peine plus d’un instant, les chaises étaient dépouillées de leurs sièges et dossiers, la porte gisait à terre amputée de ses gonds et de sa serrure, il y avait jusqu’aux fenêtres en aluminium qui avaient perdu leurs vitres. Au milieu de la pièce s’amoncelait un entrelacs de ferrailles diverses. Mais il n’y en avait pas assez. Un coup de vent déstabilisa l’ensemble lorsqu’il ouvrit la grande porte en direction de la carrosserie la plus proche.


C’était un endroit aussi noir de cambouis que l’atelier était blanc de solitude. Les hommes y parlaient haut et gras. Quelques voitures désossées étaient garée de quinconce dans le fond du garage. Sur ces carcasses, des écriteaux oubliés comme les fautes qui les jalonnaient : « A vendre pour pièces 200 euro à débatre ». En hauteur, une voiture neuve à l’avant enfoncée.

Dessous, une jeune femme qui pleurait sans jeter un œil au soleil du grand matin. Elle expliquait, gesticulant à gros sanglots qu’elle devait partir demain, et faire un long voyage. Elle mis la main à sa poche, en sortit un mouchoir, qu’elle utilisa aussitôt, et son portefeuille qu’elle tendit. Non, ce ne serait pas possible pour le lendemain. Elle montra les voitures, fiévreuse, il n’y avait donc aucun véhicule de prêt ? Aucun ?

Elle regarda autour d’elle : cet atelier de mécanique avait des airs d’antre de bête féroce ; les cadavres d’automobiles rappelaient les restes de proies malchanceuses abandonnés par le carnassier. Elle n’attendit pas la réponse. Un bruit au loin… mais bien sûr. Elle contourna les tôles froissées et se dirigea vers la porte. Le courant d’air froid fit frissonner les ouvriers lorsqu’elle quitta la salle en direction de la gare.

Les quais venaient d’être refaits. Des néons récents n’éclairaient pas les murs, encore empreint d’une odeur de peinture bleu azur. Les trains s’alignaient sagement en un bruyant ballet, arrivant, repartant, mais ne se croisant jamais. Les chemins de fer parfaitement parallèles étaient surmontés d’une immense coupole de verre.

    Un adolescent tentait de l’admirer mais la lumière trop vive de midi l’en empêchait. Il partit alors chercher son billet. Il s’assit en attendant son tour sur un siège sans dossier. La vitre sans fenêtre qui le séparait du guichetier étouffait sa voix qui demandait un aller-retour avec réduction à destination de… Les voix préenregistrées, suaves, résonnaient. Son train allait partir dans quelques minutes à peine, il s’élança vers le quai C. L’énorme machine arrivait en gare pour repartir à destination de…

    Sac sur le dos, valises à la main, on aurait juré qu’il partait pour des mois. Il approchait doucement de la monstrueuse bête de ferraille qui avalait les voyageurs un à un. C’était la première fois qu’il partait ainsi, seul sans ses parents. Il grimpa avec enthousiasme sur le marchepied. Lorsque la porte sans gond ni serrure s’ouvrit devant lui, le courant d’air fit frissonner le contrôleur affecté à ce trajet, trajet qui conduirait le jeune homme à l’anniversaire d’un ami sur une plage de Côte d’azur.

Le sable en était blanc taché par endroit d'algues noirâtres: on eût dit les résidus d'un naufrage pétrolier. Mais pas un ne passait ici. Les révérbères de la promenade attenante n'allaient pas tarder à pallier au déclin du soleil. Déjà le ciel rosissait de son coucher. Ça et là des tribus d'adolescents beuglants et qui riaient gras entassaient leurs canettes d'aluminium avec ou sans alcool à même le sable. Les restes d'un festin carnivores -merguez et brochettes comme toujours- viendraient bientôt s'y ajouter.

Une jeune femme que la mer engloutissait parfois puis recrachait aussitôt se décida à sortir de l'eau.  Elle traversa la plage, alla à sa voiture garée non loin de là. D'autres automobiles s'alignaient, toutes parallèles et bien droites, mais peu sagement. Le parking était censé être en épi. Troupeau peu discipliné. Restée ouverte: pourquoi fermer la serrure alors que la porte n'avait plus de vitre? A l'arrière du véhicule, un pannonceau qui bavait indiquait qu'il était à vendre.

Elle se changea rapidement à l'intérieur, faisant grincer le châssis vieilli. Elle était en retard, comme souvent. Dit-elle. S'installa au volant, fit claquer les gonds de la porte, mit le contact et demarra. Dès qu'elle se fut mise à rouler, le courant d'air la fit frissonner. Il ferait sûrement bien meilleur au restaurant où on l'attendait, pensa-t-elle tout haut.

    Lieu chic, d'ailleurs, et sobre. Entre décoration japonisante et futuriste: de petites lampes noires sur les tables d'aluminium tamisaient l'agressivités des murs blancs et presque nus. Presque trop de lumières alors qu'il faisait déjà nuit.Ou comme le négatif du ciel noir troué par des myriades d'étoiles lactescentes, que l'on voyait à travers le plafond vitrifié.
    
    Un vieil homme d'ailleurs semblait importuné, ne décollant pas ses lunettes cerclées  de fer orangé de la carte, alors qu'il venait de commander son café. Pas un regard pour gens qui, échauffés par l'apéritif et les vapeurs qui sortaient des cuisines riaient, criaient d'une table aux places symétriques à une autre. Son regard se perdit derrière la porte de service battante mais restée ouverte. A l'interieur des offices, c'était éclaboussures de graisse, exhalaisons de casseroles aussi inoxidables que les paillasses et frigidaires grand format. Un monde glaçant bien que torride. Comme un dragon de fer, puant.
    
    La serveuse en sortit pour lui apporter un café aussi noir et épais que du cambouis.Il s'enfonça dans son dossier, le but d'un trait. Laissa un chèque, et les quelques piécettes de métal qu'il laissa en pourboire tintèrent contre le métal de la table. Il se dirigea vers la sortie à pas lent. Quand la porte vitrée sans gonds ni serrure s'écarta pour le laisser passer, le courant d'air ainsi produit fit frissonner le dos d'une jeune femme assise près de la porte. Les yeux sur sa montre, il se dit qu'il allait être temps de promener son chien au parc.

    Une fine pluie y tombait, si fine qu’elle n’était presque pas mouillée. Quelques luminaires baignaient le banc d’une lueur à l’orange blafard: la lune de minuit ne dispensait aucune clarté. Un jeune couple s'y embrassait. Face à eux, une drôle de sculpture d’acier vieilli, jaunie par la rouille déposée par une éternité passée sous cette pluie : personne ne savait ce qu’elle représentait, pas même l’artiste qui, pendant des mois, l’avait façonnée de ses mains.

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