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26 octobre 2011

Premier amour, Ivan Tourgueniev

L'auteur en préambule:

Ivan TourguenievIvan Tourgueniev (1818/1883) fait partie de ces écrivains qui firent découvrir la littérature russe à l'Europe de la seconde moitié du XIXème. Humaniste qui se battit toute sa vie contre l'injustice et pour le respect des droits de l'homme, il fut l'ami de Gogol, Pouchkine et Dostoïevsky, mais aussi de Dumas, Flaubert et Zola.
A cause de sa remise en cause du servage dans Les Mémoires d'un chasseur, il écope d'un mois de prison, mais continuera d'écrire sur le sujet. Grand traducteur, notamment de Mérimée et Flaubert, grand écrivain, il est aussi nommé membre de l'académie des sciences en 1860, l'année de parution de Premier amour.

Ligne grise

Ivan Tourgueniev, Premier amour, Librio, Paris 2004.

Vladimir Petrovitch, tombe amoureux, du haut de ses seize ans, de Zinaïda, jeune princesse désargentée qui vit près de chez lui. Coquette tyrannique, elle règne sans partage sur une petite cour de prétendants, à laquelle se mêlera le jeune homme, les menant par le  bout du nez. Mais son comportement finira par changer, et deviendra posé, voire mélancolique...

Ah! le lyrisme et l'exaltation du romantisme russe! Tout cela sent un peu trop le XIXème à mon goût. Trop de description, trop de sentiments trop exacerbés, trop de comportements et d'attitudes tellement attendus, en même temps que si caricaturaux... Néanmoins, c'est une jolie petite histoire, plutôt bien écrite, ne soyons pas aussi durs...  A réserver donc soit aux passionnés de romantisme, soit aux adolescents, qui vivent tout plus intensément que ce que ce "tout" mériterait... Une lecture dans la même veine que celle des Souffrances du jeune Werther de Goethe, finalement.

Stylo 2

Ligne grise

"À huit heures précises, affublé de ma petite redingote et les cheveux en coque, je me présentais dans le vestibule du pavillon de la princesse. Le vieux majordome me dévisagea d’un œil morne et ne montra qu’un piètre empressement à se lever de sa banquette. Des voix joyeuses me parvenaient du salon. J’ouvris la porte et reculai, stupéfait. Zinaïda se tenait debout, sur une chaise, au beau milieu de la pièce, tenant un haut-de-forme ; cinq hommes faisaient cercle autour d’elle, essayant de plonger la main dans le chapeau qu’elle soulevait toujours plus haut, en le secouant énergiquement.
Quand elle m’aperçut, elle s’écria aussitôt :
« Attendez, attendez ! Voici un nouveau convive !… Il faut lui donner aussi un petit papier ! »
Et, quittant sa chaise d’un bond, elle s’approcha de moi et me tira par la manche :
« Venez donc !… Pourquoi restez-vous là ? Mes amis, je vous présente M. Voldémar, le fils de notre voisin. Et ces messieurs que vous voyez sont : le comte Malevsky, le docteur Louchine, le poète Maïdanov, Nirmatzky, un capitaine en retraite, et Belovzorov, le hussard que vous avez déjà vu hier. J’espère que vous allez vous entendre avec eux. »
Dans ma confusion, je n’avais salué personne. Le docteur Louchine n’était autre que l’homme brun qui m’avait infligé une si cuisante leçon, l’autre jour, au jardin. Je ne connaissais pas les autres.
« Comte ! reprit Zinaïda, préparez donc un petit papier pour M. Voldémar. »
Le comte était un joli garçon, tiré à quatre épingles, avec des cheveux noirs, des yeux bruns très expressifs, un nez mince et une toute petite moustache, surmontant des lèvres minuscules.
« Cela n’est pas juste, objecta-t-il : monsieur n’a pas joué aux gages avec nous.
— Bien sûr », convinrent en chœur Belovzorov et celui qui m’avait été présenté comme un capitaine en retraite.
Âgé de quelque quarante ans, le visage fortement marqué de petite vérole, il avait les cheveux frisés comme un Arabe, les épaules voûtées, les jambes arquées. Il portait un uniforme sans épaulettes et déboutonné.
« Faites le papier, puisque je vous l’ai dit, répéta la jeune fille… Qu’est-ce que c’est que cette mutinerie ? C’est la première fois que nous recevons M. Voldémar dans notre compagnie, et il ne sied pas de lui appliquer la loi avec trop de rigueur. Allons, ne ronchonnez pas. Écrivez. Je le veux ! »
Le comte ébaucha un geste désapprobateur, mais baissa docilement la tête, prit une plume dans sa main blanche, aux doigts couverts de bagues, arracha un morceau de papier et se mit à écrire.
« Permettez au moins que nous expliquions le jeu à M. Voldémar, intervint Louchine, sarcastique… Car il a complètement perdu le nord… Voyez-vous, jeune homme, nous jouons aux gages : la princesse est à l’amende et celui qui tirera le bon numéro aura le droit de lui baiser la main. Vous avez saisi ? »
Je lui jetai un vague coup d’œil, mais restai planté, immobile, perdu dans un rêve nébuleux. Zinaïda sauta de nouveau sur sa chaise et se remit à agiter le chapeau. Les autres se pressèrent autour d’elle et je fis comme eux.
« Maïdanov ! dit Zinaïda à un grand jeune homme, au visage maigre, aux petits yeux de myope, avec des cheveux noirs et exagérément longs… Maïdanov, vous devriez faire acte de charité et céder votre petit papier à M. Voldémar, afin qu’il ait deux chances au lieu d’une. »
Maïdanov fit un signe de tête négatif, et ce geste dispersa sa longue crinière.
Je plongeai ma main le dernier dans le chapeau, pris le billet, le dépliai… Oh ! mon Dieu : un baiser ! Je ne saurais vous dire ce que j’éprouvai en lisant ce mot.
« Un baiser ! m’exclamai-je malgré moi.
— Bravo !… Il a gagné ! applaudit la princesse… J’en suis ravie ! »
Elle descendit de la chaise et me regarda dans les yeux avec tant de douce clarté que mon cœur tressaillit.
« Et vous, êtes-vous content ? me demanda-t-elle.
— Moi…, balbutiai-je.
— Vendez-moi votre billet, me chuchota Belovzorov. Je vous en donne cent roubles. »
Je lui répondis en lui jetant un regard tellement indigné que Zinaïda applaudit et Louchine cria :
« Bien fait !
« Pourtant, poursuivit-il, en ma qualité de maître des cérémonies, je dois veiller à la stricte observance de toutes les règles. Monsieur Voldémar, mettez genou en terre : c’est le règlement. »
Zinaïda s’arrêta en face de moi, en penchant la tête de côté, comme pour mieux me voir, et me tendit gravement la main. Je n’y voyais pas clair… Je voulus mettre un genou en terre, mais tombai à deux genoux et portai si maladroitement les lèvres à la main de la jeune fille que son ongle m’égratigna le bout du nez."

Premier amour, Chap. VII

Ligne grise

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